Vie chère : l’octroi de mer, coupable idéal

Vie chère : l’octroi de mer, coupable idéal

avril 16, 2024 0 Par BlanChapeau

Spécialiste en sciences économiques et enseignant à l’Université de La Réunion, François Hermet met en lumière, à travers ses recherches, l’importance disproportionnée accordée à la taxe d’octroi de mer dans la problématique du coût de la vie élevé.

Pourquoi est-il pertinent de comparer le poids de la TVA et de l’octroi de mer sur les produits du bouclier qualité-prix ?

Interview de François Hermet : L’octroi de mer a longtemps été pointé du doigt comme le principal responsable de la cherté de la vie. Cette perception s’est solidifiée au fil du temps, bien que aucune étude n’ait jamais été réalisée pour le confirmer. Aujourd’hui, la première mesure prise par le gouvernement dans le cadre du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM) consiste à réformer l’octroi de mer. Il est clairement établi que « c’est en modifiant la fiscalité que l’on pourra efficacement lutter contre la vie chère et renforcer les efforts déjà consentis par les distributeurs grâce au Bouclier qualité prix (BQP) ». Le BQP est un instrument intéressant car il englobe 153 produits alimentaires, d’hygiène, d’entretien, etc. C’est dans cette optique que j’ai souhaité examiner la fiscalité de ce panier, en comparant d’un côté l’octroi de mer et de l’autre la TVA.

Qu’avez-vous observé lors de cette comparaison ?

Je suis d’avis que le principal problème de l’octroi de mer réside dans son invisibilité. Il est souvent désigné comme le coupable idéal de la vie chère, sans réelle justification. Lorsque l’on se penche attentivement sur la fiscalité, on réalise que les choses ne sont pas aussi évidentes qu’elles en ont l’air. L’État a fait du BQP son principal levier de lutte contre la vie chère, en pointant du doigt l’octroi de mer comme responsable de la cherté des biens de première nécessité. Cependant, il apparaît que l’État perçoit plus de TVA que les collectivités ne récupèrent d’octroi de mer. Cette contradiction méritait d’être soulignée.

En quoi l’octroi de mer peut-il être qualifié d' »invisible » ?

L’opacité de l’octroi de mer réside dans le fait que l’on ignore quelle part de cet impôt est intégrée dans chaque produit acheté. Cette incertitude découle du fait que l’octroi de mer est calculé sur le prix CAF, c’est-à-dire avant que les distributeurs n’ajoutent leur marge, gardée secrète pour des raisons commerciales. Cette opacité nourrit la perception négative autour de l’octroi de mer, même lorsque le taux est de 0%, comme c’est le cas pour la plupart des produits alimentaires. Ainsi, il devient le bouc émissaire idéal, sans véritable alibi.

La mauvaise réputation de l’octroi de mer provient-elle donc d’un manque de transparence ?

L’opacité entourant l’octroi de mer engendre une méfiance chez les consommateurs. Comme le disait Martine Aubry, « quand c’est flou, il y a un loup ». En revanche, la TVA ne suscite pas les mêmes inquiétudes car son montant est clairement affiché sur le ticket de caisse. De plus, le terme « octroi de mer » est associé à l’idée d’un impôt colonial, même si son fonctionnement actuel n’a plus de lien avec cette origine.

Pensez-vous qu’il serait préférable de supprimer la TVA ?

Je ne prône pas l’abolition de la TVA. Mon constat est que l’impact de l’octroi de mer sur les produits de première nécessité est moindre que celui de la TVA. Il est souvent mentionné que le modèle métropolitain devrait être adopté, avec la suppression de l’octroi de mer et l’application d’un taux de TVA à 20%. Cependant, une telle mesure entraînerait une hausse du prix du BQP, passant de 343 à 348 euros…

Votre analyse s’applique-t-elle uniquement au BQP ?

Le BQP représente un panier type comprenant des produits de grande consommation, ciblés par le CIOM pour une baisse des prix. Il est possible que d’autres produits soient davantage impactés par l’octroi de mer si l’on se penchait sur d’autres catégories.

Qu’en est-il des produits automobiles ?

Les voitures ne sont pas toutes soumises aux mêmes taxes. Par exemple, les voitures électriques ne sont pas assujetties à l’octroi de mer. Jusqu’à l’année dernière, une prime à l’achat était majorée de 1000 euros dans les outre-mer, compensant ainsi les coûts de transport. Le taux de TVA est de 8,5% contre 20% en métropole. Malgré cela, le prix de ces véhicules reste plus élevé à La Réunion. C’est également le cas pour les voitures hybrides, soumises à une taxation de 15% combinant octroi de mer et TVA, inférieure à celle de la métropole. Même constat pour les voitures de faible cylindrée, avec un octroi de mer de 13% et une TVA de 8,5%, soit en dessous du taux métropolitain. Ainsi, la focalisation sur l’octroi de mer pour expliquer la vie chère ne reflète pas la réalité.

Selon vous, où se situe réellement le problème de la vie chère ?

Le problème se divise entre la fiscalité d’un côté et les marges de l’autre. Il est délicat d’incriminer les marges sans étude approfondie. Les marges ne doivent pas être stigmatisées, bien que leur influence mérite d’être étudiée. Une approche globale et rigoureuse est nécessaire pour évaluer cette question.

Pensez-vous qu’aucune réforme ne soit nécessaire ?

En aucun cas. La question de la réforme fiscale est cruciale. L’opacité entourant l’octroi de mer pose également la question de sa destination et du consentement à l’impôt. Il est impératif de rendre l’octroi de mer plus transparent quant à son utilisation et son financement. Avec une collecte annuelle de 550 millions d’euros, il est primordial que les collectivités locales expliquent à leurs citoyens à quoi cet argent est affecté. Une démarche pédagogique s’impose.

Peut-on envisager un alignement des prix avec ceux de la métropole à l’avenir ?

Structuralement, il est illusoire de penser que les prix pourront être identiques à ceux de la métropole. La distance de 10 000 kilomètres par rapport aux principaux centres de production en Europe ou en Chine engendre des coûts logistiques importants. Nous évoluons sur un marché restreint, ce qui influe sur les tarifs pratiqués, indépendamment de la fiscalité.

Propos recueillis par Jean-Philippe Lutton

source informationnelle : clicanoo.re
rédaction : intelligence artificielle